Kumi Sosuke ~ bon appétit

Derrière mon comptoir, à travers la vitrine de la boutique, je regardais la pluie s'abattre sur la ville. La pâtisserie était déserte, pas un chat à l'horizon. Ni humain, ni goule. Je soupirais d'ennuie. Heureusement que mon unique employé avait prit sa journée. Il valait mieux qu'un seul d'entre nous s'ennuie. Parfois, j'essayais de m'occuper, me déplaçant difficilement à cause de ma jambe douloureuse pour finalement abandonner moins de trois minutes plus tard, m'essayant sur une des chaises. Ma jambe n'était plus douloureuse, mon plus gros handicape était lorsque je me déplaçais, posant tout mon poids sur ma canne. Mes yeux se baissait sur ma jambe meurtrie. Elle était le témoin de ma dévotion, de l'amour fraternel pour l'une de ses créatures. Je me pinçais les lèvres, revoyant très clairement la scène, le souvenir de la douleur que j'avais pu ressentir ce jour-là restait encrée dans ma chair. Elle était tout ce qu'il me restait de lui, un souvenir douloureux. Mes dents se serraient petit à petit alors que j'enfouissais mon visage dans mes mains, laissant échapper des larmes silencieuse.


« Qu'est-ce que tu as ? » S'exclamais l'enfant paniqué. Il se tenait derrière son ami d'enfance, celui avec qui il avait grandi, avec qui il avait tout partagé, ou presque. « Gen-chan... » Gémissais faiblement le jeune humain, s'avançant doucement. Son corps frêle tremblait accentuant la fragilité qui caractérisait tant les humains. Pourtant, il était courageux, face à la scène morbide qui s'offrait à lui, il ne reculait pas bien au contraire jusqu'à même oser poser sa petite main sur l'épaule de celui qu'il pensait connaître par cœur. C'était sans compter sur le lourd secret de la famille Aka, cette famille qui ressemblait à toutes les autres mais qui en réalité n'avait rien d'humain. Ils étaient des bêtes se nourrissant de chair humaine. Le petit Sosuke venait malgré lui de rentrer dans la confidence. Son meilleur ami était un monstre. « Gen-chan... » Marmonnait-il alors que ses yeux venait de se baisser sur ce que son ami tenait fermement. Le petit Aka Genshiki levait la tête, dévoilant son regard écarlate au petit humain qui eu un mouvement maladroit de recule, tombant sur ses fesses pour enfin s'oublier, terrorisé. Des pleures se firent alors entendre dans la ruelle. La bête rouge aurait pu lui aussi le dévorer. Il pouvait le trahir à tout moment. Cependant, il n'en fit rien, le prenant dans ses bras. « Pardon, So-chan... Pardon... » Marmonnait-il à son tour, pleurant à l'unisson avec son ami humain.


« Gen-chan... » Marmonnais-je, sortant difficilement de ce souvenir. Pourquoi m'étais-je rappelé de ce moment ? L'année de mes huit ans, j'avais découvert qu'une race supérieure cohabitait avec les humains : les goules. Mon ami d'enfance était l'une d'elle. Bien que la première fois où je l'avais vu dévorer un humain m'avait effrayé, je m'étais fait à ce nouveau monde qui s'offrait à moi. Fidèle à lui-même, il m'avait réconforté à l'aide de ses sourires habituels. Gen-chan restait Gen-chan après tout. Il ne m'avait jamais fait de mal, jamais sans mon consentement du moins. Oui, mon orteil manquant, je le lui avais offert. La douleur physique avait été indescriptible ce jour-là mais des douleurs plus grandes en résultèrent : celles du deuil, le chagrin, l'éloignement et surtout l'impuissance. Nous avions quinze ans lorsque je lui fis don de mon orteil. Nous étions jeune un inconscient. Si j'avais su que ce cadeau était empoisonné, jamais je ne lui aurai offert.


« Non ! » S'écriait la jeune goule qui venait tout juste d'avoir ses quinze ans. « Je ne veux plus manger d'humain ! » L'adolescent rebel sembait traverser une période de diffile. Sosuke qui avait été invité à partager la table des goules ce jour-là regardait son ami de toujours, les yeux ronds tandis que les parents impuissants tentaient de le raisonner mais en vint. La jeune goule quittait la table où se trônait un cadavre ainsi que quelques mets humain pour leur convive. « Je vais le raisonner. » Annonçait le jeune humain alors qu'il quittait à son tour la table pour suivre son ami dans sa chambre. « Gen-chan... » Disait-il d'une voix douce qui se voulait rassurante. Sans peur, il s'avançait vers la goule pour la serrer dans ses bras. « Gen-chan, tu ne peux pas aller contre ta nature. » Commençait-il, passant doucement sa main dans son dos. « Je ne veux pas ! » Criait la goule en pleure. « Je ne veux plus faire de mal ! » Sosuke semblait décidé à lui faire entendre raison. La nature l'avait fait ainsi et l'humain inconscient l'avait déjà accepté depuis longtemps. Il était devenu leur complice, par amour pour cette famille, il les protégeait. Un long soupire franchissait les lèvres de l'humain. « S'il te plait... » Murmurait-il doucement. « Si tu te prives de manger, tu pourrais devenir fou... comme la dernière fois. » Ce n'était en effet pas la première fois que Genshiki refusait de manger des êtres humains. Il s'était affamé jusqu'à en perdre la tête et Sosuke en avait déjà fait les frais. La goule était devenue folle au point de mordre au bras l'humain qu'il chérissait lui laissant sa première marque. Sosuke se défaisait de son étreinte, relevant sa manche pour lui montrer le stigmate qu'il lui avait laissé. « Si tu ne manges plus, cela recommencera et qui sait ce qui tu pourrais faire la prochaine fois. » Sa voix était sèche malgré son regard bienveillant qu'il avait lorsqu'il posait les yeux sur son ami d'enfance. « Si tu ne veux plus manger d'innocents, que dirais-tu si je t'offrais quelque chose ? » Face à cette déclaration, la goule secouait la tête. Il n'était pas de l'avis de son ami humain pourtant, Sosuke n'avait pas dit son dernier mot. Il retirait une chaussette pour lui présenter son pied. « Je ne t'ai pas fait de cadeau aujourd'hui alors prend mon orteil. »


Genshiki était l'être qui m'était le plus précieux en cette terre. Il était pour moi comme un frère, je suis certain que nous partagions cet amour platonique. Encore aujourd'hui il m'arrive de penser à lui. Impossible de l'oublier, stigmate ou non, il m'avait marqué et à présent, il avait laissé un vide dans ma poitrine. A la suite de ce cadeau empoisonné, mes parents m'avaient éloigné de la famille Aka m'envoyant étudier en France la gastronomie comme je l'avais toujours rêvé. Suite à l'éloignement, je les suspecte d'avoir dénoncé ma seconde famille. Le visage enfouie dans mes mains, je profitais de cet instant de solitude pour me laisser aller. A mon retour au Japon, la famille Aka avait disparue, d'après les dire des habitants de ma ville natale, ces monstres avaient été exécutés. Mon ami n'était plus et pourtant ma loyauté envers les goules demeurait. Je me faisais un devoir de les aider. C'était d'ailleurs pour cette raison que j'étais parti à Tokyo, m'éloignant par la même occasion de ma famille qui n'avait rien fait pour les aider. J'avais monté ma propre pâtisserie, mettant en pratique le savoir que j'avais acquis en France. Cependant, comme les goules, la façade coquette cachait elle aussi un secret, presque tous les produits que je créais était destinés aux goules.